mercredi 20 juin 2012

Chris Watson / El Tren Fantasma



Chris Watson est un musicien extraordinaire même si d’aucun lui refuserait volontiers ce statut méritant. Notre homme a pourtant fait ses débuts au sein de Cabaret Voltaire et a activement participé à l’enregistrement de disques aussi essentiels que Mix Up (1979), The Voice Of America (1980) et Red Mecca (1981). Au sein du groupe de Sheffield il était essentiellement chargé des machines c'est-à-dire le plus souvent (et en plus des synthétiseurs) de la manipulation de bandes préenregistrées. Avec le départ de Chris Watson Cabaret Voltaire a irrémédiablement perdu son caractère post punk pervers – l’incroyable single Nag Nag Nag – et ses velléités industrielles. Tous ces disques ainsi que l’immanquable et obscurantiste coffret Methodology 74/78 ; Attic Tapes sont toujours trouvables du côté de Mute records. Pour les gens pressés on peut toujours conseiller la compilation The Original Sound Of Sheffield 78/82 avec l’excellent Do The Mussolini (Headkick) en guise de tête de gondole.




Mais depuis Chris Watson a dévié de sa trajectoire initiale. Toujours passionné de sons il s’est spécialisé dans la captation de ceux-ci. Les pochettes de ses disques décrivent avec moult détails quels microphones, câbles et enregistreurs Watson a utilisés pour capter tel ou tel son. Car les disques plus récents de Chris Watson – la plupart chez Touch records – c’est précisément cela : de la prise de son et des paysages sonores. Un disque tel que Outside The Circle Of Fire (1998) documente uniquement des bruits d’animaux captés dans le monde entier. Et lorsqu’on parle de bruits d’animaux on ne parle pas seulement de leurs cris, entre autres choses on s’émerveille à chaque fois de cet enregistrement qui donne à entendre les remous de l’eau provoqués par un squale replongeant soudainement dans les profondeurs de l’océan. L’abstraction sonore est à son comble et si on ne savait pas que c’est un squale qui a provoqué ces bruits cela n’y changerait rien. Malgré les détails techniques et parfois géographiques – latitude, longitude, altitude, etc. – fournis on n’écoute qu’un son et on comprend que l’acte de prise de son est un acte créatif comme un autre, avec ses mystères et ses explications.
Chris Watson a ainsi élevé la prise de son et sa restitution/diffusion au rang de création ce qui bien sûr défrise les mélomanes et les tenants de l’instrumentation au sens strict et classique du terme. Ce qui a amené notre homme à une certaine notoriété : par exemple son disque Weather Report (2003) est adulé par tous les curateurs de musées d’art contemporain du monde mais moi je lui préférerai toujours Outside The Circle Of Fire qui est de très loin le plus beau de toute sa discographie.
Chaque nouveau disque de Chris Watson tourne autour d’une thématique plus ou moins extensible (donc, on a déjà énuméré : les animaux, la localisation géographique et la météorologie) et El Tren Fantasma – publié à la fin de l’année 2011 par Touch – n’échappe pas à la règle. El Tren Fantasma a effectivement été enregistré dans de multiples situations lors d’un voyage au Mexique et tourne autour des trains. Un « thème » universel tant les bruits de trains nous sont familiers. Mais ceux de Chris Watson sont une nouvelle fois étrangement poétiques. Historiquement El Tren Fantasma a également un intérêt puisqu’il collecte des sons captés sur une ligne ferroviaire (exploitée par les Ferrocarriles Nacionales de México) qui reliait l’océan Pacifique à l’océan Atlantique, Los Mochis à Vera Cruz et qui n’existe plus. Un train fantôme, donc (« fantasma » en espagnol) et un voyage figé dans l’immobilité de ce qui a disparu à jamais.
Or El Tren Fantasma reste d’une totale vitalité. Chris Watson a même pour la première fois depuis très longtemps manipulé ses sons, les a mixés et a rajouté des effets voire des sons autres qui donnent à El Tren Fantasma un caractère musical auquel l’anglais n’avait guère touché sur ses enregistrements solo précédents. Il est assez troublant de se laisser porter par les fausses rythmiques induites par la mécanique ferroviaire comme sur El Divisadero (quatrième titre) qui n’aurait pas à rougir de la comparaison avec une composition d’abstract techno. Mais c’est plutôt du coté des pionniers de la musique sur bande qu’il faudrait aller chercher une filiation, pour ce mélange entre finesse des compositions et expressivité rude des matériaux collectés. Avec El Tren Fantasma Chris Watson touche au plus près et surtout au plus juste, s’offrant peut-être l’opportunité de faire évoluer son art de la prise de son vers quelque chose de plus conventionnel mais de toujours aussi universel.